LE TRAIN FANTÔME

Gare de la Tinée (Alpes-Maritimes) HDR © Matin-Rouge 2014
Gare de la Tinée (Alpes-Maritimes) HDR © Matin-Rouge 2014

"J'habite en moi comme dans un train qui roule"

 

"Je n'y suis pas monté volontairement, je n'avais pas le choix et j'ignore le lieu de destination. Un jour du lointain passé je me suis réveillé dans mon compartiment et j'ai senti que je roulais. C'était excitant, je guettais la trépidation des roues, j'exposais ma tête au vent de la course et je savourais la vitesse avec laquelle les choses passaient devant moi. Je souhaitais que le train n'interrompît jamais son voyage. En aucun cas, je ne voulais qu'il s'arrêtât quelque part pour toujours.

Ce fut à Coimbra, sur le banc dur de l'amphithéâtre, que j'en ai pris conscience : je ne peux pas descendre du train. Je ne peux pas changer de voie ni de direction. Je ne détermine pas la vitesse. Je ne vois pas la locomotive et je ne peux pas savoir qui la conduit, ni si le chauffeur donne l'impression d'être fiable. Je ne sais pas s'il lit bien les signaux et s'il est capable de remarquer une erreur éventuelle d'aiguillage. Je ne peux pas changer de compartiment. Je vois des gens passer dans le couloir et je pense : peut-être est-ce dans leur compartiment tout différent du mien. Mais je ne peux pas aller vérifier, un contrôleur que je n'ai jamais vu et ne verrai jamais a fermé et scellé la porte du compartiment. J'ouvre la fenêtre, je me penche profondément au-dehors et je me rends compte que tous les autres en font autant. Le train décrit une boucle douce. Les derniers wagons sont encore dans le tunnel et les premiers y entrent de nouveau. Peut-être le train tourne-t-il en rond, sans relâche, sans que quelqu'un s'en aperçoive, pas même le chauffeur de la locomotive ? Je n'ai aucune idée de la longueur du train. Je vois tous les autres tendre le cou pour distinguer quelque chose et pour comprendre. Je les salue, mais le vent de la course emporte mes paroles. L'éclairage dans le compartiment change, sans que ce soit moi qui aie pu en décider. Soleil et nuages, crépuscule et encore crépuscule, pluie, neige, tempête. ( . . . ) Dehors, les choses semblent suivre leur cours habituel, raisonnable. Peut-être est-ce pareil dans le compartiment des autres ? Dans le mien, en tout cas, cela se passe autrement que je m'y serais attendu, tout autrement. Le constructeur était-il ivre ? Ou fou ? Ou un charlatan diabolique ? ( . . . )

Parfois, je reçois de la visite dans mon compartiment. Je ne sais pas comment c'est possible malgré la porte verrouillée et scellée, mais c'est un fait. Pour la plupart, la visite arrive à contretemps. Ce sont des gens du temps présent, parfois aussi du passé. Ils viennent et s'en vont à leur guise. Quelques visiteurs disparaissent sans laisser de traces. D'autres laissent des tracent collantes et puantes, aérer ne sert à rien. ( . . . )

Le voyage est long. Il y a des jours où je souhaite qu'il n'ait pas de fin. Ce sont des jours rares, précieux. il y en a d'autres où je suis content à la pensée qu'il y aura un dernier tunnel, où le train s'immobilisera pour toujours."


"Train de nuit pour Lisbonne" Pascal Mercier

Train à l'abandon en Gare de la Tinée (Alpes-Maritimes) HDR © Matin-Rouge 2014
Train à l'abandon en Gare de la Tinée (Alpes-Maritimes) HDR © Matin-Rouge 2014

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