Le Rose et le Vert

Il est de ces jeux qu'on improvise, pour "passer le temps". Dans la queue du Pathé-Gaumont un Mercredi soir, dans la salle d'attente d'une administration lambda. Au cours d'un road trip en rase campagne, dans l'espoir fou de trouver une station service encore ouverte à 1h du matin...

- Cite-moi un roman qui contient au moins une couleur dans le titre ?
- "Le Rose et le Vert" de Stendhal.
- (...)

Bulot, huître, poulpe. . . Je vous épargne l'immersion en vivier et l'imagerie molluscaire associée, qui nous vient généralement à l'esprit en pareille circonstance. Ainsi que les allusions dites "mobilières" - même si j'avoue un petit faible pour les plus incongrues/surannées d'entre elles (Ex: "Con comme un bidet"). Mais quelle inculture, mes aïeux !!! Quelle inculture. Comment peut-on lancer pareille ânerie avec un tel aplomb ? Au secours !" Pédanterie, arrogance, sarcasmes. Jean passe. Et des meilleurs. . . Bien sûr rien -ou presque- ne sera verbalisé. À peine un regard dédaigneux, un rire étouffé. . . Ou peut-être pire encore, la "technique" du "Gentleman", qui consiste à (se) la jouer "Grand Seigneur" : 

- "Le Rouge et le Noir" !!! (...) Je valide.
 

(Remplissez les trois points de soupirs éhontés et de toute la condescendance du monde. . .)

"Le Rose et le Vert" est un roman inachevé (Henri Beyle -dit "Stendhal" a en effet "abandonné" cette oeuvre en Juin 1837) « qui aurait dû être l'amplification de la nouvelle "Mina de Vanghel". La couleur "Rose" s'explique facilement : le premier titre envisagé était "La Rose du Nord", périphrase poétique pour désigner l'héroïne, une jeune Allemande, venue donc du Septentrion en France. "Titre prétentieux et plat' nota Stendhal, qui le ratura aussitôt. Mais "Vert" ? L'action du roman devait se transposer de Paris à Aix-les-Bains. Le vert est-il une allusion aux près savoyards ? Chaque couleur est polyvalente. Le vert peut être la couleur de l'idylle ou celle du crime. "Chez le véritable artiste, un arbre sera d'un vert différent s'il ombrage le bain où Léda joue avec le cygne, ou si des assassins profitent de l'obscurité de la forêt pour égorger le voyageur." (Histoire de la peinture en Italie, à propos du Bain de Léda, de Corrège.) Le "Rose et le Vert" tout comme "Mina de Vanghel" est une idylle qui finit mal (...) » ** 

Et là "on" se sent con, évidemment. Conchylien. Confus. Concave. Complètement idiot.
Pas parce qu'on a pas su. Mais parce qu'on a cru savoir. C'est ballot. . .

On a tous/tout à apprendre des autres. Toujours. Et si on enlevait les mouches crevées, nichées sous nos paupières, on verrait plus souvent du Rose et du Vert.

(*) Résumé : De Stendhal, tout le monde connaît "Le Rouge et le Noir", au moins de réputation. Moins connu en revanche est "Le Rose et le Vert". Ce court roman inachevé rédigé en un mois, peu avant qu'il ne s'attelle à la rédaction de La chartreuse de Parme, et de publication posthume, conte l'histoire d'une jeune bourgeoise allemande, Mina de Wanghel, protestante, que la mort inopinée de son père met à la tête d'une immense fortune. Éprise de liberté, amoureuse de l'amour et le cœur encombré de chimères romanesques, cette oie délicieuse a l'ambition d'être aimée pour elle-même et non pour sa richesse. Mina et sa mère font courir le bruit de leur ruine. Incognito, elles gagnent Paris et s'offrent un peu de bon temps...
(**) Tiré du "Dictionnaire Amoureux de Stendhal" par Dominique Fernandez.